Rôle des individus et nations dans le changement : rencontre avec Tariq Ramadan

Rappels sur Tariq Ramadan

Professeur Tariq Ramadan a été décrit comme l'un des «innovateurs les plus importants pour le XXIe siècle» par le magazine Time. Ramadan travaille principalement sur la théologie islamique et la position des musulmans en Occident et dans les pays à majorité musulmane, plaidant pour la ré-interprétation des textes islamiques et soulignant le caractère hétérogène des musulmans occidentaux. Ses écrits et ses conférences ont contribué au débat sur les questions de musulmans dans l'Ouest et le renouveau islamique dans le monde musulman.

Professeur d'études islamiques contemporaines à l’Université d'Oxford et directeur du Centre pour la législation islamique et l'éthique (Doha), il est également président de l’European Muslim Network (EMN), un think tank à Bruxelles. Titulaire d'une maîtrise en philosophie et en littérature française et un doctorat en études arabes et islamiques de l'Université de Genève il effectué au Caire une formation en études islamiques classiques auprès de chercheurs de l'Université Al-Azhar.

Monsieur Ramadan, quels sont pour vous les développements et débats les plus passionnants dans la politique du monde contemporain?

Malheureusement, je ne suis pas sûr de pouvoir voir quoique ce soit de nouveau ou d’enthousiasmant en termes de politique mondiale. Nous pouvons bien entendu parler de ce qui se passe au Moyen-Orient, mais je ne suis que peu optimiste et pense que les questions posées ne sont pas les bonnes.

Comment votre façon de comprendre le monde a-t-elle changé au fil du temps, et qui (ou qui est-ce qui) a mené aux changements les plus importants dans votre pensée?

Je pense que si nous regardons l'Histoire, les gens qui véhiculent le changement et deviennent des forces motrices sont très souvent des gens victimes de domination, d’oppression, ou de façon générale qui se trouvent dans des situations sociales très difficiles. Cependant, maintenant nous devons également faire face à des intellectuels, des visionnaires qui contribuent au changement et des gens qui essaient de changer le monde mais n’étant pas en mesure de le faire eux-mêmes.
Ces derniers ont besoin du soutien des forces sociales, politiques et culturelles qui favorisent le changement, et je pense que l'Histoire est là pour nous montrer qu’il s’agit là d’un ensemble de facteurs. Affirmer le contraire serait raconter des mensonges et, dans de nombreux cas, ce sont le mécontentement, la marginalisation et l’injustice qui poussent les individus à aller de l’avant.

Vous avez fait valoir que l'islam est compatible avec les démocraties libérales de l'Europe. Comment réagissez-vous à des figures comme Ayaan Hirsi Ali qui soutiennent qu'elles sont incompatibles, en particulier en ce qui concerne les droits des femmes ?

Je pense qu’il y a, à l’échelle mondiale et pas seulement européenne, des millions d’hommes et femmes musulmans occidentaux qui justifient chaque jour qu'ils respectent les lois de leur pays, qu'ils sont des démocrates, et qui participent notamment à travers le vote. Je ne parle pas uniquement d’une personne, je ne parle pas seulement d’une communauté, je parle de millions aux États-Unis ou en Europe. Nous pouvons voir cela non seulement en Occident, mais si vous regardez les musulmans en Afrique, ceux en Inde, en Turquie, en Indonésie, et même Ayaan Hirsi Ali, tous sont musulmans et démocrates et ils ne voient pas de contradiction. Certains mensonges tendent à véhiculer le contraire, mais je reste moi également, Tariq Ramadan, convaincu qu’il n’y a pas de contradiction.

Le choc des civilisations thèse est construit autour d'un «nous» contre «eux» qui se traduit en conflit perpétuel. A l’ère du tout connecté, ces différences sont-elles renforcées par davantage d’interactions interculturelles ou sont-elles au contraire minorées en raison d'un plus grand sentiment d'interdépendance ?

Je pense vraiment que la mondialisation affecte chacun d'entre nous, et génère un sentiment de peur et de méfiance ; hommes comme femmes se demandent qui ils sont, quelles sont leurs valeurs. La nation se définit comme quelque chose de dispersé et l’identité devient une référence qui nous protège de ce que nous ne sommes pas, ne connaissons pas ou de ce dont nous avons peur.
Et je pense que cela n'a pas seulement de rapport avec la civilisation, mais avec la situation actuelle du monde. Sans faire de distinction de sexe ou d’origine, les individus vivent ensemble, ce sont à eux d'interagir, les gens vivent ensemble, ce qui paradoxalement les effraie : ils ne reconnaissent pas leur propre psyché.

Mais je dirais qu’il s’agit d’une période transitoire, parce que nous sommes à la recherche de références que nous avons perdues. C’est ce que nous pouvons appeler l’ «identité négative ». Nous avons besoin d'une identité positive pour l'avenir, et la seule façon que les identités sont positives est d’accepter le fait que nous avons des identités multiples et construire une société plurielle.

Tariq Ramadan

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